Le procès de Lamine Diack reprend aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Paris, après un premier report.  Journaliste d’investigation au quotidien français « Le Monde », Yann Bouchez a pu consulter le dossier d’instruction. Invité de RFI Matin (Radio), il est revenu en détails sur les faits.

Yann, quel est le fond du dossier de Lamine Diack dont le procès reprend aujourd’hui ?

Dans cette affaire, il y a deux chose. Il y a d’abord les cas de dopage dans l’athlétisme russe qui aurait été mis sous tapis en échange d’argent. Et de l’autre coté il y a de l’argent qui aurait été détourné en marge de contrats de sponsoring. Et les sommes sont estimés à plusieurs millions d’euros. Tout l’enjeu du procès sera de bien comprendre comment tout ce pacte de corruption a pu avoir lieu. Dans cette affaire, tout y est. Et on pourra y ajouter la géopolitique puisque la Russie qui est un grand pays de l’athlétisme où le dopage a été institutionnalisé, avec de hauts dirigeants impliqués. Et la Russie aurait trouvé en Laimine Diack et à son fils deux alliés de poids pour mettre sous tapis des cas de dopage.

On évoque aussi son implication dans la campagne politique au Sénégal…..

Lamine Diack l’a reconnu devant les enquêteurs en fin 2015. Il avait expliqué qu’ils avaient trouvé une sorte de marché de pacte avec les Russes pour cacher des cas de dopage, ne pas les révéler, en échange d’un million et demi d’euro pour financer des élections au Sénégal.

Existe-t-il des éléments accablants dans ce dossier ?

Il y a des éléments accablants qui se trouvent notamment dans les transferts d’argent depuis les différentes sociétés de son fils Pape Massata Diack. Il y a des dizaines de virements où on arrive à reconstituer les flux d’argent  et notamment le chantage fait par à certains athlétes russes et les sommes reçues. Il y a notamment une société écran à Singapour qui a été utilisée pour un moment pour rembourser une marathonienne russe très connue, Yuliya Chubukova. Elle était mécontente car elle avait payé des centaines de milliers d’euros pour passer entre les mailles du filet. Mais elle a finalement eu des problèmes avec l’agence antidopage. Elle s’est retournée pour dire qu’elle avait donné de l’argent, sans être protégée. Elle a demandé à se faire rembourser. Et c’est cette société basée à Singapour qui avait remboursée l’athléte russe. Et c’est ça qui avait fait démarré l’affaire en 2015. La constante est que les gens ont la preuve de ces virements.

Peut-on alors dire que les Russes ont financé la campagne de Macky Sall ?

Ce n’est pas possible de le dire comme ça pour l’instant. Pour ce volet de l’affaire, la justice française n’a pas pu l’établir. D’une part, les autorités sénégalaises n’ont pas voulu coopérer. Donc, les magistrats français n’ont pas pu avoir accès à certains comptes bancaires au Sénégal de Papa Massata Diack. Donc, toute cette partie concernant les élections au Sénégal ne sera pas jugée devant la 32éme chambre correctionnelle du Tribunal de Paris qui va juger Lamine Diack. Lui, il sera jugé pour corruption, blanchiment aggravé et pour abus de confiance. Il ne sera pas jugé pour un financement illicite de campagne. Je pense que la justice française a estimé que c’est une affaire sénégalaise et que Dakar enquêterait, s’il voulait des éclairages sur ce sujet.

Quelle est la ligne de défense de Lamine Diack ?

Déjà du coté de Macky Sall, on a toujours démenti avoir touché de l’argent russe durant les élections. Lamine Diack lui, il est un peu revenu en arrière par rapport à ses propos de fin 2015 devant les enquêteurs. Il a dit que lors des élections sénégalaises, il y avait des jeunes qui étaient mobilisés et qu’il avait misé sur eux avec un financement. Il fait savoir qu’il n’avait pas financé un candidat en particulier. Donc, il s’est bien gardé de donner des noms. Quant à Papa Massata Diack, il parle régulièrement dans les médias. Il parle de gros mensonge de l’histoire. Il évoque un complot. Pour l’instant, il n’a pas avancé de document qui viendrait étayer ce complot. Mais on verra pendant le procès s’il y a de nouveaux éléments qui sont apportés. On devrait avoir peut-être plus éclaircissements d’ici au 18 juin. Mais tout dépendra de la ligne de défense adoptée par Lamine Diack. Est-ce qu’il va dévoiler un peu les arcanes de la Fédération internationale d’athlétisme et du fonctionnement qui pouvait avoir avec son fils à l’époque. C’est tout l’enjeu du procès.